Prescription du crédit immobilier : la Cour de cassation fait la girouette

Un an et demi après avoir jugé que les prêts immobiliers se prescrivaient à partir du premier incident de paiement non régularisé, la première chambre de la Cour de cassation revient sur sa position et considère désormais que le point de départ de la prescription court à compter de la déchéance du terme.


Plus précisément, elle opère une distinction entre chaque fraction de la dette selon leur date d’exigibilité.

L’arrêt du 10 juillet 2014(1) qui avait simplifié la détermination du point de départ de la prescription par emprunt à la forclusion biennale propre au crédit à la consommation avait suscité de vives critiques chez ses commentateurs(2).

Par quatre arrêts voués à une très larges diffusion (Civ. 1re, 11 févr. 2016, FS-P+B+R+I, n° 14-22.938, Civ. 1re, 11 févr. 2016, FS-P+B+R+I, n° 14-28.383, Civ. 1re, 11 févr. 2016, FS-P+B+R+I, n° 14-27.143, Civ. 1re, 11 févr. 2016, FS-P+B+R+I, n° 14-29.539), la première chambre a entendu ses critiques et opté pour une solution plus orthodoxe mais également plus complexe.

La prescription des créances à termes successifs

Parmi les reproches adressés à la Haute juridiction, il était regretté que les dispositions de l’article 2233 du Code civil, qui prévoient que la prescription d’une créance à terme commence à courir à compter du terme, aient été totalement éludées de son raisonnement.

Ainsi, la jurisprudence ancienne aboutissait à une extinction totale d’une créance dont une fraction seulement était arrivée à terme. Le banquier pouvait ainsi voir ses droits se prescrire sans même avoir prononcé la déchéance du terme du capital restant dû.

En jugeant « qu’à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance », la première chambre a tiré toutes les conséquence des dispositions évoquées.

En pratique, la prescription frappera les échéances impayées les unes après les autres, dans un délai de deux ans à compter de leur exigibilité respective, et le capital restant dû ne sera atteint par la prescription qu’à la condition que le prêteur en ait prononcé l’exigibilité anticipée et dans un délai de deux ans suivant ce terme provoqué.

Ces quatre décisions s’exposent cependant à une autre critique : la trop grande discrétion laissée au prêteur quant au choix du point de départ du délai de prescription.

Le banquier, maître de la prescription

La plupart des contrats de prêt immobilier prévoient qu’en cas de survenance d’un certain nombre d’événements (au premier rang desquels, la défaillance de l’emprunteur), le prêteur aura la faculté de prononcer l’exigibilité anticipée, encore appelée déchéance du terme.

L’épée de Damoclès qui est en suspens au dessus de la tête de l’emprunteur défaillant est tenue par la main du prêteur, qui choisira le moment de sa chute. Certains y on vu un déséquilibre dans l’économie contractuelle et même une clause abusive.

On fera surtout remarquer qu’un tel mécanisme permet de contourner les dispositions de l’article L. 137-1 du Code de la consommation qui prévoient que « les parties au contrat entre un professionnel et un consommateur ne peuvent, même d’un commun accord, ni modifier la durée de la prescription, ni ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de celle-ci ».

Si en effet, le délai de prescription n’est pas modifié par le contrat de prêt, son cours en revanche en est différé par le mécanisme conventionnel de déchéance du terme de sorte qu’on peut y voir une entrave aux dispositions d’ordre public qui viennent d’être évoquées.

L’intervention du législateur à quelques semaines de la date butoir de transposition de la directive 2014/17/UE du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel, serait la bienvenue sur ce point.

(1)Civ. 1re, 10 juill. 2014, n°13-15.511
(2)MIGNOT Marc, Une hybridation contestable : le point de départ de la forclusion greffé sur la prescription, in L’ESSENTIEL DROIT BANCAIRE, p.1, n°9 octobre 2014